Photographie floue du Pictorialisme à Alyph

Sur la page d’accueil de notre site https://amilart.com/, nous soulevions la question de savoir si Alyph ne serait pas l’artiste ayant créé un style unique à travers la photographie en flou. Pour élucider ce point, qui suscite bien des interrogations, nous avons mené des recherches auprès des institutions les plus influentes en matière d’histoire de la photographie. Les résultats unanimes ont désigné les Pictorialistes du XIXe siècle comme les précurseurs du flou dans ce domaine. Cependant, nous ne partageons pas cet avis, et nous vous expliquons pourquoi.

Sur les traces du flou artistique à travers l’histoire de l’art

Le flou n’est pas un nouveau phénomène dans l’histoire de l’art. Des éléments flous, comme les arrière-plans, apparaissaient déjà dans les peintures anciennes. Toutefois, c’est William Turner qui, dans ses aquarelles, a poussé cette notion en diluant les contours des formes jusqu’à être floues et même abstraites. Il devint ainsi une source d’inspiration majeure pour les impressionnistes, qui adoptèrent le flou comme un véritable style artistique.

L’invention de la photographie par Niépce, quant à elle, allait bouleverser la peinture figurative, incitant les artistes à explorer de nouvelles avenues du flou, allant jusqu’à l’abstraction. Les Pictorialistes, quant à eux, abandonnèrent le langage photographique traditionnel pour adopter un flou inspiré de l’impressionnisme.

En 1976, la galerie de la Société française de photographie organisait une rétrospective sur les Pictorialistes, présentant notamment des œuvres d’Alfred Stieglitz et de Robert Demachy. Néanmoins, cette exposition réunissait des photographes aux esthétiques diverses, sans que le flou soit l’élément dominant parmi d’autres courants artistiques. https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Pictorialisme

Quelques semaines après, sur les mêmes murs de la galerie de la SFP, la première exposition d’Alyph, un artiste encore inconnu à l’époque, se distinguait par des photographies entièrement floues, parfois même abstraites. Cet événement marquait une véritable réapparition du flou, longtemps banni en raison de son utilisation excessive par le Pictorialisme. Voici pourquoi.

Pour traiter ce sujet, une question s’impose d’emblée : quel artiste a érigé le flou en style distinct au point d’en faire un thème central d’une exposition entière ? En 1976, la galerie de la Société française de photographie présentait une rétrospective sur les Pictorialistes, où figuraient notamment des œuvres d’Alfred Stieglitz et de Robert Demachy. Cependant, cette exposition regroupait des photographes aux esthétiques variées, sans que le flou domine sur d’autres tendances.

Cela invite à réfléchir sur la manière dont le flou, au-delà de sa dimension technique, peut incarner une vision artistique singulière et marquer une esthétique à part entière. Et, si un tel style a existé, alors qui en est l’inventeur, celui qui délibérément fait de la perception floue du monde une esthétique et une philosophie ? Remontons l’histoire de la photographie pour y voir plus clair.

Apparition de la première période floue avec le pictorialisme du XIXe siècle

Le flou était déjà présent dès les débuts de la photographie. Cependant, il était souvent considéré comme un défaut par les défenseurs d’une reproduction fidèle du réel. Pourtant, même avec sa netteté relative, l’image photographique possédait une identité propre, une signature visuelle impossible à confondre avec celle d’un dessin, aussi hyperréaliste soit-il.

Les imperfections optiques et chimiques des premiers procédés photographiques engendraient naturellement du flou. Ce dernier fut progressivement réduit grâce aux améliorations techniques, jusqu’à atteindre une quasi-perfection avec l’avènement du procédé argentique. Mais, avant cette maîtrise, ces imperfections conférèrent aux images une qualité imprécise qui séduisit les pictorialistes. Ces derniers furent les premiers à intégrer consciemment le flou dans une démarche esthétique.

Cependant, leur usage du flou comportait une certaine ambiguïté. Ce n’était pas tant le flou en lui-même qui motivait leur approche, mais plutôt leur quête de reconnaissance en tant qu’artistes. Le flou devint un moyen de s’éloigner de l’objectivité froide de la photographie pour se rapprocher des techniques picturales, dans l’espoir de légitimer leur art. Ainsi, le flou pictorialiste apparaît davantage comme une stratégie contextuelle que comme une recherche autonome, comme nous allons le voir.

Le pictorialisme cherche à rivaliser avec l’impressionnisme

Les documents historiques sont clairs à ce sujet : les photographes du mouvement pictorialiste aspiraient avant tout à être reconnus comme des artistes à part entière, utilisant une technique encore perçue comme un art mineur. Pour atteindre cet objectif, ils choisirent d’imiter les peintures les plus prisées de leur époque, qui étaient majoritairement celles des impressionnistes.

Si un autre courant artistique avait dominé, ils auraient sans doute suivi ce même principe d’imitation. Ainsi, dès ses débuts, le pictorialisme s’engage dans une quête illusoire. Au lieu d’explorer les potentialités propres à la photographie, comme le feront les générations suivantes, ils s’enferment dans une tentative d’émulation d’un médium fondamentalement différent.

Dans leur volonté de rivaliser avec l’impressionnisme, les pictorialistes se heurtent à une caractéristique irréductible de leur propre art : la netteté intrinsèque de la photographie, même imparfaite à ses origines. Depuis la première image de Niépce, la photographie est marquée par une précision qui la distingue radicalement d’un dessin ou d’une peinture, aussi fidèles soient-ils au réel.

Cette netteté, perçue comme trop objective, devient pour les pictorialistes un handicap majeur dans leur quête de légitimité artistique. Elle renforce l’idée que la photographie est incapable d’égaler la poésie et la subjectivité que l’on attribue à la peinture. Plutôt que d’embrasser cette singularité, ils tentent de la masquer, adoptant des procédés tels que le flou ou les manipulations chimiques pour se rapprocher des effets impressionnistes.

Cependant, en cherchant à transcender la nature même de leur médium, les pictorialistes occultent ce qui fait la force de la photographie : sa capacité unique à capturer et à transformer le réel autrement. Une leçon comprise par les photographes modernistes, qui s’affranchiront de l’ombre de la peinture pour affirmer l’identité propre de cet art naissant. Alfred Stieglitz, l’un des fervents défenseurs du pictorialisme, s’en détourne pour défendre la photographie dite « straight ». Le flou frelaté du pictorialisme est oublié en laissant dans son sillage une réticence à toute notion de flou photographique. C’était sans compter sur la photographie en couleurs et ce qu’en allait tirer Alyph.

Apparition de la deuxième période floue avec Alyph en avril 1976

Le flou d’Alyph trouve son origine dans un moment suspendu, une rencontre inattendue où l’art et la séduction se sont entrelacés. Tout commença après une nuit blanche à errer dans les bars animés du quartier Latin avec une bande de copains. L’euphorie de la fête s’estompa avec les premières lueurs de l’aube et chacun rentra chez soi, laissant derrière lui les éclats d’une soirée dissipée. C’était l’aube d’un jour du printemps de mille neuf soixante-dix.

Ahmed, encore loin de devenir Alyph, flânait dans les rues désertes de Saint-Germain-des-Prés. Ses pas, guidés par une douce torpeur, l’amenèrent devant une boutique de fleurs. Là, une jeune et belle fleuriste s’affairait à ses compositions florales pour la journée à venir. Fasciné par la grâce de ses gestes et la beauté de ses créations, Ahmed sentit une impulsion soudaine : il lui proposa de l’aider. Elle accepta, amusée, trouvant dans ce moment d’imprévu un éclat d’insouciance.

Plongé au cœur de cet univers floral, Ahmed fut rapidement happé par les formes éclatantes et les couleurs vibrantes des fleurs. Instinctivement, il se mit à photographier ce qu’il voyait. Un phénomène singulier se produisit. À travers l’objectif, son regard fut attiré par les transitions délicates entre la netteté et le flou, ce va-et-vient presque hypnotique où les contours des fleurs se fondaient dans une brume éthérée.

Ce flou n’était pas une simple absence de netteté ; il était porteur d’une poésie propre, révélant une profondeur insoupçonnée. Les formes s’évanouissaient, mais les couleurs, elles, éclataient avec une intensité quasiment irréelle, comme si l’essence même des fleurs s’exprimait au-delà de leur apparence physique. Ahmed comprit alors qu’il n’observait pas simplement une anomalie technique, mais qu’il venait de poser les bases d’une nouvelle esthétique.

Ce jour-là, le futur Alyph comprit qu’il tenait entre ses mains une clé pour réinterpréter la réalité à travers son art. Le flou, loin d’être une imperfection, devint pour lui un langage à part entière, une manière de saisir l’invisible et d’évoquer l’émotion pure.

Il est essentiel de souligner que le flou d’Alyph n’est ni le fruit d’un artifice numérique ni d’un quelconque raccourci technique. Il repose sur une démarche exigeante, où chaque image est le résultat d’une intention précise et d’une exploration méthodique. À travers cette approche, Alyph a su transformer un simple jeu de mise au point en une signature artistique singulière, un hommage vibrant à la beauté impermanente du monde.

La photographie floue d’Alyph ne doit en aucun cas être assimilée au pictorialisme. Alors que les Pictorialistes manipulent leurs clichés pour rivaliser avec le flou impressionniste, Alyph reste fidèle à l’essence même de la photographie. Il détraque délibérément l’un de ses principes fondamentaux, la mise au point, pour créer ses images floues. Par cette démarche iconoclaste, il renverse les fondements mêmes du langage photographique. À la fidélité de la reproduction du réel, il substitue un flou qui devient une forme de poésie. Les contours des objets s’effacent, révélant leurs couleurs comme autant de mélodies visuelles

Le flou après Alyph : un tournant dans l’histoire de la photographie

Dans les années 1970, les photographies floues étaient perçues comme des échecs techniques, bonnes à être écartées. Ce n’est qu’à travers l’interprétation éclairée de Christiane Roger, historienne de la photographie, et du philosophe Pascal Bruckner qu’Alyph a pu connaître un succès retentissant à Paris, en avril 1976.

Son exposition à la galerie de la Société française de photographie marque un tournant. Elle attire l’attention des grands hebdomadaires comme L’Express et Les Nouvelles Littéraires, propulsant Aleph au sommet de la scène artistique. Pourtant, ce succès fut de courte durée. Peu après, Aleph disparaît des radars artistiques, laissant derrière lui une œuvre aussi mystérieuse que révolutionnaire.

L’héritage de la photographie floue et abstraite d’Alyph

Dans les années qui suivent, d’autres artistes s’inspirent de l’utilisation du flou, au point d’en faire un courant majeur des arts contemporains. Aleph a-t-il influencé ces successeurs ? La question reste ouverte. Si l’on ne peut pas affirmer avec certitude son impact direct, il est impossible de dissocier ses créations de la réhabilitation du flou comme langage artistique à part entière.

Contrairement aux pictorialistes, dont le flou était un artifice contextuel visant à imiter la peinture, Alyph a transformé le flou en un acte radical et iconoclaste. Sans artifice ni volonté de subversion calculée, il renverse la règle fondamentale de la netteté photographique en déréglant sa caméra de manière impulsive. Il ne cherche ni à reproduire la peinture impressionniste, ni à copier les aquarelles de Turner ou les abstractions de Kandinsky, même si ses créations, comme c’était écrit, les rappellent les œuvres de ces grands artistes.

Une quête philosophique à travers la photographie floue

Tel qu’Alyph le conçoit, le flou dépasse largement les préoccupations esthétiques ou techniques des pictorialistes. Il soulève des questions philosophiques profondes, notamment celles de l’éphémère et de l’impermanence. En se jouant des contours et des certitudes visuelles, le flou devient une métaphore puissante de la fragilité des choses, de leur caractère transitoire, insaisissable.

Cette vision contraste fortement avec celle des pictorialistes, dont l’usage du flou relevait davantage d’une stratégie qu’une véritable réflexion ontologique. Leur quête de reconnaissance les conduisait à imiter les codes esthétiques dominants de leur époque, au point d’utiliser le flou comme un simple outil pour accéder au prestige du statut d’artiste. Ce flou, contextuel et opportuniste, était donc un produit des circonstances historiques, bien loin de la gravité et de la profondeur qu’Alyph lui attribue.

Le flou d’Alyph n’est pas une simple esthétique, mais une réflexion sur l’impermanence, l’éphémère et notre relation au monde. Ses photographies interrogent la nature de la perception et la fragilité de ce qui nous entoure, suscitant une quête philosophique plus qu’un désir de reconnaissance. Là réside la grande différence entre Alyph et les pictorialistes : son travail n’aspire pas à valider la photographie en tant qu’art mineur, mais à transcender ses limites pour créer un langage visuel unique.

Redonner à Alyph sa place légitime dans l’histoire de l’art contemporain

Pour saisir l’importance innovante des photographies floues d’Alyph, il est essentiel de revenir sur l’évolution du flou à travers l’histoire de l’art. Nous avons mis en lumière sa signification chez les Pictorialistes et la manière dont Alyph l’a abordé.

C’est uniquement à cause de son absence prolongée de la scène artistique, en raison de circonstances malheureuses ; qu’une œuvre d’une telle envergure a été éclipsée, alors qu’elle mériterait d’occuper une place centrale dans l’histoire des arts contemporains. Il nous paraît légitime, surtout après sa réintégration dans le monde de l’art, de lui rendre la place qu’il aurait naturellement dû occuper. À nos yeux, il est incontestablement l’artiste qui a transformé le flou en photographie en un véritable style, affranchi de toute influence pictorialiste.

Alyph a ouvert la voie à une conception nouvelle de la photographie, non pas comme un outil de reproduction fidèle, mais comme un moyen d’exprimer l’intangible. À vous, désormais, de vous faire votre propre opinion sur l’impact de cet artiste discret et visionnaire. Vos critiques et vos opinions nous sont précieuses pour continuer à publier de nouveaux contenus.

Notes de bas de page

La photographie dite « straight » ou l’avènement d’un style purement photographique : https://www.coupefileart.com/post/la-photographie-dite-straight-ou-l-av%C3%A8nement-d-un-style-purement-photographique

Dans le cadre de nos recherches au sujet des photographies floues d’Alyph, l’aide des institutions de référence consultées nous a été précieuse. Ainsi, nous a été signalée une exposition organisée par le musée Elysée de Lausanne, et fait mention des noms de William Klein et de Bernard Plossu. Nous en faisons part à notre tour avec la question : où situer les photographies floues d’Alyph de 1976 parmi ces références historiques ?

À propos de l’exposition de référence au sujet du flou : Flou. Une histoire photographique à consulter sur :
https://elysee.ch/expositions/flou/. Nous avons examiné les images du catalogue avec la remarque que seules quelques-unes sont floues, mais datent de bien des années après 1976.

William Klein, un photographe reconnu pour son approche révolutionnaire et souvent en marge des conventions photographiques. Cependant, après des vérifications approfondies, nous n’avons trouvé aucune indication suggérant que Klein ait fait du flou un élément central de son œuvre. Son travail, bien que transgressif, semble davantage axé sur des techniques comme les cadrages atypiques, les contrastes saisissants et une esthétique brute. Un aperçu de sa carrière est disponible ici :
https://www.lemonde.fr/culture/article/2022/09/12/william-klein-l-outsider-de-la-photographie-est-mort_6141276_3246.html

Dans le prolongement des recherches sur l’utilisation du flou en photographie après l’exposition d’Alyph en 1976, nous avons découvert l’existence d’un livre d’art signé par le photographe Bernard Plossu, intitulé « L’art du vrai flou ». Cet ouvrage explore la place du flou comme langage photographique distinct et propose une perspective contemporaine sur ce style. Plus d’informations sur cette publication sont disponibles sur :
https://lintervalle.blog/2024/06/28/lart-du-vrai-flou-par-bernard-plossu-photographe

Nous faisons juste la même remarque, à savoir que ces créations ne sont apparues que bien après les photographies floues d’Alyph de 1976. La question essentielle reste posée : par qui et quand a été inventé le véritable style flou à travers la photographie ?

Ces références témoignent de la richesse et de la diversité des approches artistiques autour du flou en photographie, tout en soulignant la singularité de la démarche d’Alyph.

PS. Cette page est encore en cours d’écriture. Malgré tout, nous la publions pour que nos lectrices et nos lecteurs puissent avoir une idée sur le sujet traité. Nous aurions voulu publier des images pour illustrer cet article, mais la loi sur les droits d’auteur nous l’interdit. Mais, il suffit de saisir sur votre clavier les mots clés qu’il faut pour voir les images qui manquent à notre texte.

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